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ORAISON FUNÈBRE

fants ne peut onc les esbranler d’un seul pied pour les getter hors du siège de constance. Mais nostre Marguerite, ayant perdu son aisné & unique fils, Prince de Navarre, encor qu’elle fust doublée de stérilité, toutefois ne fut veue, ou estre estonnée & esperdue, ou getter des souspirs & gémir profondément, ou monstrer aulcun signe que son esprit fust troublé d’aulcune tristesse. Mais, où presque toutes les femmes en telle fortune accusent le Ciel, mauldissent la Mort, remplissent l’air de hurlements & vaines plainctes &, du tout faillies de courage, demeurent ainsi que mortes, estonnées & stupides,Marguerite ouit la triste nouvelle de la mort de son fils de cœur constant & asseuré, &, au lieu des flebiles cantiques qu’on ha de coustume chanter aux funérailles, elle feist dire un joyeus Hymne, c’est le Cantique des Saincts Augustin & Ambrois, commenceant Te Deum Laudamus, que le pœuple chante communement en signe d’une nouvelle & inespérée joye. Cela certes sembla chose inaudite & inacoustumée à ceuls qui jugent grande injure estre faicte aux trespassés si les vivants ne sont vestus de noir, ne se tourmentent de dueil, ne frappent leur poictrine, ne s’arrachent les cheveuls, ne se deffont eulxmesmes d’impatience & de désespoir.

Mais la trèsmagnanime Royne avoit entendu Euripide avoir escrit que ceuls qui naissent en ce Monde doivent estre reçeus en grands pleurs, en dueil & tristesse, comme estants entrés en la mair de tous mauls, misères & calamités, mais que ceuls qui sont morts doivent estre portés & conduits au monument en grande joye & liesse comme libres & échappés de toute misère. Aussi sçavoit elle qu Hérodote a mis en son Histoire les Thraces avoir acoustumé d’environner les enfants nays, & là tesmoigner