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DE MARGUERITE DE NAVARRE

luy dist un seul mot. Ô complainte digne d’un tel personnage ! Dy moy, beste & homme sans aulcun jugement, Marguerite te sembleoit donc parler de choses frivolles, quand elle tenoit propos de si louable & ardue matière ! Que si traicter des bonnes lettres & des vertus est parler de choses frivolles, qu’appelleras tu choses graves ? Je croy que sera de confire les disners & les souppers des faicts de la guerre, des armes, des bardes de chevauls, de la chasse, de la vollerie, de banquets, de boubans, d’amours, de blasphèmes, de vengeance, d’effusion de sang, de mettre les hommes en pièces, & de semblables nobles & vertueux propos. Dieu le sçait, mais toutes ces choses ne sont propres aux femmes, principallement aux Roynes, Princesses & Dames, lesquelles ne s’arment, ne font la guerre & ne sont nourries à cruaulté.

Marguerite disputoit avec gents de longue robbe & de bonnet rond. Avecques qui donc ? Eust-ce esté avec tes semblables ? Je n’entens des Gentilshommes & gents de robbe courte qui sont trèsprudents & trèsdoctes, mais d’un tas d’espadassins & braves, ausquels demander leur advis des Lettres, de prudence, de conseil, d’un gouvernement de la République, seroit certes demander aux aveugles à veoir, aux sourds à ouïr, aux muets à parler & à une statue de marbre conseil & sage délibération. Mais Marguerite, disois-tu, avoit avec elle trop petit nombre de Nobles. Dy moy quels Nobles tu voulois qu’elle heust ? Possible de ceuls qui se ventent de l’antiquité du sang, mais ne peuvent se glorifier de vertu. Je ne veuls certes regetter si loing la noblesse du sang que de dire qu’on ne luy doive porter aulcun honneur ; mais je dy que, si elle n’est conjoincte avec la noblesse de l’esprit, c’est à vertu, ce n’est qu’une image & umbre de noblesse.