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IIJe JOURNÉE

çon que ce fust de trouver moien de veoir sa dicte seur.

Incontinent il s’en alla en la Religion, en laquelle on luy feit les excuses accoustumées ; c’est qu’il y avoit trois ans que sa sœur ne bougeoit du lict. Dont il ne se tint pas contant & leur jura que, s’il ne la voyoit, il passeroit pardessus les murailles & forceroit le monastère. De quoy elles eurent si grande paour qu’elles luy admenèrent sa seur à la grille, laquelle l’Abbesse tenoit de si près qu’elle ne povoit dire à son frère chose qu’elle n’entendist. Mais elle, qui estoit sage, avoit mis par escript tout ce qui est icy dessus, avecq mille autres inventions que le dict Prieur avoit trouvées pour la decepvoir, que je laisse à compter pour la longueur.

Si ne veulx je oblier à dire que, durant que sa tante estoit Abbesse, pensant qu’il fust refusé par sa laideur, feit tenter Seur Marie par ung beau & jeune Religieux, espérant que, si par amour elle obéissoit à ce Religieux, après il la pourroit avoir par craincte. Mais dans ung jardin où le dict jeune Religieux luy tint propos avecq gestes si deshonnestes que j’aurois honte de les rémémorer, la pauvre fille courut à l’Abbesse, qui parloit au Prieur, criant : « Ma mère, ce sont Diables en lieu de Religieux ceux qui nous viennent visiter. » Et à l’heure le Prieur, qui eut grande paour d’estre