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XXVJe NOUVELLE

la ville, laquelle avoyt espousé ung jeune homme qui surtout aymoyt les chevaulx, chiens & oiseaulx, & commencea, pour l’amour d’elle, à lever mille passetemps, comme tournoys, courses, luyttes, masques, festins & autres jeuz, en tous lesquels se trouvoyt ceste jeune femme. Mais, à cause que son mary estoyt fort fantasticque & ses père & mère la congnoissoient fort legière & belle, jaloux de son honneur, la tenoyt de si près que le dict Seigneur d’Avannes ne povoyt avoir d’elle autre chose que la parolle bien courte en quelque bal, combien que en peu de propos le dict Seigneur d’Avannes aparçeut bien que autre chose ne défailloit à leur amityé que le temps & le lieu.

Par quoy il vint à son bon père le riche homme & luy dist qu’il avoyt grand dévotion d’aller visiter Notre-Dame de Montferrat, le priant de retenir en sa maison tout son train parce qu’il voulloyt aller seul, ce qu’il luy accorda. Mais sa femme, qui avoyt en son cueur ce grand Prophète Amour, soupsonna incontinant la vérité du dict voiage & ne se peut tenir de dire à Monseigneur d’Avannes : « Monsieur, Monsieur, la Nostre-Dame que vous adorez n’est pas hors des murailles de ceste ville ; par quoy je vous supplie sur toutes choses regarder à vostre santé. » Luy, qui la craingnoit & aymoit, rougyt si fort à ceste parole que sans parler il luy confessa la vérité & sur cella s’en alla.