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IIJe JOURNÉE

viennent à essayer la forte tentation, qui est de coucher ensemble & s’embrasser sans nulle concupiscence. Mais, pour ung qui en est eschappé, en sont venuz tant d’inconvéniens que l’Archevesque de Millan où ceste Religion s’exerçeoyt fut contrainct de les séparer & mettre les femmes au couvent des femmes & les hommes au couvent des hommes.

— Vrayement, » dist Geburon, « c’est bien l’extrêmité de la follye de se voulloir randre de soy-mesmes impècable & cercher si fort les occasions de pécher. »

Ce dist Saffredent : « Il y en a qui sont au contraire, car ilz fuyent tant qu’ilz peuvent les occasions ; encores la concupiscence les suyct, & le bon sainct Jhérosme, après s’estre bien fouetté & s’estre caché dedans les désers, confessa ne povoir éviter le feu qui brusloit dedans ses moelles. Par quoy se fault recommander à Dieu, car, s’il ne nous tient à force, nous prenons grand plaisir à tresbucher.

— Mais vous ne regardez pas ce que je voy, » dist Hircan, « c’est que, tant que nous avons racompté nos histoires, les Moynes derrière ceste haye n’ont poinct ouy la cloche de leurs Vespres, & maintenant, quant nous avons commencé à parler de Dieu, ilz s’en sont allez & sonnent à ceste heure le second coup.

— Nous ferons bien de les suivre, » dist Oisille, « & d’aller louer Dieu d’ont nous avons passé ceste journée aussi joyeusement qu’il est possible ».

Et en ce disant, se levèrent & s’en allèrent à l’église, où ilz oyrent dévotement Vespres, & après s’en allèrent soupper, débattans des propos passez & remémorans plusieurs cas advenuz de leur temps pour veoir lesquelz seroient dignes d’estre retenuz. Et, après