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IIIJe JOURNÉE

Ainsy habillé, s’en vint au soir en la chambre de sa femme, qui l’attendoyt en grand dévotion. La pauvre sotte n’attendyt pas qu’il vint à elle, mais, comme femme hors du sens, le courut embrasser. Luy, qui tenoyt le visaige baissé de paour d’estre congneu, commencea à faire le signe de la croix, faysant semblant de la fuyr en disant tousjours, sans aultre propos : « Tentation, tentation ! » La Dame luy dist : « Hélas, mon Père, vous avez raison, car il n’en est poinct de plus forte que qui vient d’Amour, à laquelle vous m’avez promis donner remède, vous priant, maintenant que nous en avons le temps & loisir, avoir pitié de moy » ; &, en ce disant, s’esforceoyt de l’embrasser, lequel, fuyant par tous les costez de la chambre avecq grands signes de croix, cryoit tousjours : « Tentation, tentation ! » Mais, quant il veit qu’elle le serchoyt de trop près, print ung gros baston qu’il avoyt soubz son manteau & la battit si bien qu’il luy feit passer sa tentation sans estre congneu d’elle. S’en alla incontinant rendre les habitz au Prescheur, l’asseurant qu’ilz luy avoyent porté bonheur.

Le lendemain, faisant semblant de revenir de loing, retourna en sa maison, où il trouva sa femme au lict, &, comme ignorant sa maladie, luy demanda la cause de son mal, qui luy respondit que c’estoyt ung caterre & qu’elle ne se povoyt