Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
XVe NOUVELLE

Maïstresse ne s’en apperçeut, car en sa présence se gardoit bien de parler à luy. Mais, quand elle luy vouloit dire quelque chose, s’en alloit veoir quelques Dames qui demouroient à la Court, entre lesquelles y en avoit une dont son mari faingnoit d’estre amoureux.

Or ung soir, après soupper, qu’il faisoit obscur, se desroba la dicte Dame, sans appeller nulle compaignie, & entra en la chambre des Dames, où elle trouva celuy qu’elle aimoit mieulx que elle mesmes, &, en se asséant auprès de luy, appuyez sur une table, parloient ensemble, feignans de lire en ung livre. Quelqu’un, que le mary avoit mis au guet, luy vint rapporter là où sa femme estoit allée ; mais luy, qui estoit saige, sans en faire semblant s’y en alla le plus tost qu’il peut, &, entrant en la chambre, veid sa femme lisant le livre, qu’il faingnit ne veoir point, mais alla tout droict parler aux Dames qui estoient de l’autre costé. Ceste pauvre Dame, voyant que son mary l’avoit trouvée avecq celuy auquel devant luy elle n’avoit jamais parlé, fut si transportée qu’elle perdit sa raison &, ne pouvant passer par le banc, saulta sur la table & s’enfuit comme si son mary avecq l’espée nue l’eust poursuyvie & alla trouver sa maistresse qui se retiroit en son logis.

Et, quand elle fut deshabillée, se retira la dicte Dame, à laquelle une de ses femmes vint dire que