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Ve JOURNÉE

mencèrent, le Cordelier, par une finesse, regarda long temps la mariée, qu’il trouvoit fort belle & à son gré, &, s’enquérant soingneusement aux Chamberières de la chambre où elle debvoyt coucher, trouva que c’estoit auprès de la sienne, dont il fut fort aise, faisant si bien le guet pour parvenir à son intention qu’il veit desrober de la sale la mariée que les vielles emmenèrent comme ilz ont de coustume. Et, pource qu’il estoit de fort bonne heure, le marié ne voulut laisser la dance, mais y estoit tant affectionné qu’il sembloyt qu’il eust oblyé sa femme, ce que n’avoit pas faict le Cordelier, car, incontinant qu’il entendit que la mariée fut couchée, se despouilla de son habit gris & s’en alla tenir la place de son mary ; mais, de paour d’y estre trouvé, n’y arresta que bien peu & s’en alla jusques au bout d’une allée où estoyt son compaignon, qui faisoyt le guet pour luy, lequel luy feit signe que le marié dansoit encores.

Le Cordelier, qui n’avoit pas achevé sa meschante concupiscence, s’en retourna encores coucher avecq la mariée jusques ad ce que son compaignon luy feit signe qu’il estoit temps de s’en aller. Le marié se vint coucher, & sa femme, qui avoit esté tant tormentée du Cordelier qu’elle ne demandoit que le repos, ne se peut tenir de luy dire :

« Avez-vous délibéré de ne dormir jamais & ne faire que me tormenter ? »