Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
Ve JOURNÉE

des choses que des Advanturiers auroient honte de faire. Esmerveillez vous qu’ilz ne font pis quant Dieu retire sa main d’eulx, car l’abit est si loing de faire le moyne que bien souvent par orgueil il le deffaict, &, quant à moy, je me arreste à la religion que dict sainct Jacques : Avoir le cueur envers Dieu pur & nect, & se exercer de tout son povoir à faire charité à son prochain.

— Mon Dieu, » dist Oisille, « ne serons nous jamais hors des contes de ces fascheux Cordeliers ? »

Ennasuicte dist :

« Si les Dames, Princes & Gentilz hommes ne sont poinct espargnez, il me semble que les Cordeliers ont grand honneur dont on daigne parler d’eulx ; car ilz sont si très inutiles que, s’ilz ne font quelque mal digne de mémoire, on n’en parleroit jamais, & on dict qu’il vault mieux mal faire que ne faire rien. Et nostre boucquet sera plus beau, tant plus il sera remply de différentes choses.

— Si vous me voulez promectre, » dist Hircan, « de ne vous courroucer poinct à moy, je vous en racompteray d’une grande Dame si infame que vous excuserez le pauvre Cordelier d’avoir prins la nécessité où il l’a peu trouver, veu que celle qui avoyt assez à manger cherchoit sa friandise trop meschantment.

— Puis que nous avons juré de dire la verité, » dist Oisille, « aussy avons nous de l’escouter. Par quoy vous povez parler en liberté, car les maulx que nous disons des hommes & des femmes ne sont poinct pour la honte particulière de ceulx dont est faict le compte, mais pour oster l’estime de la confiance des créatures en monstrant les misères où ils sont subjectz, afin que