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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/142

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VJe JOURNÉE

d’aultruy. En parlant à ses propos se asseyèrent devant l’ouvrouer d’un Apothicaire, où estoit ung varlet qui les escoutoit & pensa incontinant de leur donner à desjuner.

Il saillyt de sa bouticque dans une rue où chacun alloyt faire ses nécessitez & trouva ung grand estronc tout debout, si gellé qu’il sembloyt ung petit pain de sucre fin ; incontinant l’enveloppa dedans ung beau papier blanc, en la façon qu’il avoyt accoustumé, pour en faire envye aux gens & le cacha en sa manche, & s’en vint passer par devant ce Gentil homme & cest Advocat, laissant tumber assez près d’eulx comme par mesgarde ce beau pain de sucre, & entre dans une maison où il faingnoit de le porter.

Le Seigneur de la Tirelière se hasta de relever vistement ce qu’il cuydoyt estre ung pain de sucre &, ainsy qu’il le levoit, le Varlet de l’Apothicaire retourna, serchant & demandant son pain de sucre partout.

Le Gentil-homme qui le pensoyt avoir bien trompé, s’en alla hastivement avecq son compère en une taverne, en luy disant :

« Nostre desjuné est payé aux despens de ce Varlet. »

Quant il fut en la maison, il demanda bon pain, bon vin & bonnes viandes, car il pensoyt bien avoir de quoy paier. Ainsy qu’il commençea à se