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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/236

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VIJe JOURNÉE

— En bonne foy, » dist Ennasuicte, « voylà la plus grande sotte dont je oy jamais parler, qui faisoyt rire les autres à ses despens.

— Je ne trouve poinct estrange, » dist Parlamente, « de quoy la parolle ensuict le faict, car il est plus aisé à dire que à faire.

— Dea, » dist Geburon, « quel péché avoyt elle faict ? Elle estoit endormye en son lict ; il la menassoit de mort & de honte ; Lucresse, qui estoit tant louée, en feyt bien aultant.

— Il est vray, » dist Parlamente. « Je confesse qu’il n’y a si juste à qui il ne puisse mescheoir, mais, quand on a prins grand desplaisir à l’euvre, l’on en prent aussi à la mémoire, pour laquelle effacer Lucresse se tua, & ceste sotte a voulu faire rire les aultres.

— Si semble il, » dist Nomerfide, « qu’elle fût femme de bien, veu que par plusieurs fois elle avoyt esté priée, & elle ne se voulut jamais consentir, tellement qu’il fallut que le Gentil homme s’aydât de tromperie & de force pour la décepvoir.

— Comment, » dist Parlamente, « tenez vous une femme quicte de son honneur quant elle se laisse aller, mais qu’elle ayt usé deux ou trois foys de refuz ? Il y auroit doncques beaucoup de femmes de bien qui sont estimées le contraire, car l’on en a assez veu qui ont longuement reffusé celluy où leur cueur s’estoyt adonné, les unes pour craincte de leur honneur, les aultres pour plus ardemment se faire aymer & estimer, par quoy l’on ne doibt poinct faire cas d’une femme, si elle ne tient ferme jusques au bout. Et, si ung homme refuse une belle fille, estimerez vous grande vertu ?

— Vrayment, » dist Oisille, « si ung homme jeune