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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/242

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VIJe JOURNÉE

gneur : « Nous sommes bien sotz d’estre ainsy partiz si soubdain, sans avoir veu les quatre filles que l’on nous avoyt promises estre les plus belles de mon Royaulme. » Le jeune Seigneur luy respondit : « Je suis bien aise dont vous y avez failly, car j’avois grand paour, veu ma malladie, que moy seul eusse failly à une si bonne advanture. » À ces parolles ne s’aperçeut jamais le Roy de la dissimulation de ce jeune Seigneur, lequel depuis fut plus aymé de sa femme qu’il n’avoit jamais esté.


À l’heure se print à rire Parlamente & ne se peut tenir de dire : « Encores il eust mieulx aymé sa femme, si ce eut esté pour l’amour d’elle seule. En quelque sorte que ce soyt il est très louable.

— Il me semble, » dist Hircan, « que ce n’est pas grand louange à ung homme de garder chasteté pour l’amour de sa femme, car il y a tant de raisons que quasi il est contrainct. Premièrement Dieu luy commande ; son serment le y oblige, & puis nature, qui est soulle, n’est poinct subjecte à tentation ou desir comme la nécessité ; mais l’amour libre que l’on porte à s’amye, de laquelle on n’a poinct la jouissance ne autre contentement que le veoir & parler & bien souvent mauvaise response, quant elle est si loyalle & ferme que pour nulle adventure qui puisse advenir on ne la peut changer, je dis que c’est une chasteté non seulement louable, mais miraculeuse.

— Ce n’est poinct de miracle, » dist Oisille, « car où le cueur s’adonne il n’est rien impossible au corps.