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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/272

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VIJe JOURNÉE

Ung jour estant l’Apothicaire en sa bouticque, & sa femme cachée derrière luy escoutant ce qu’il disoyt, vint une femme, commère de cest Apothicaire, frappée de mesme maladye comme sa femme, laquelle souspirant dist à l’Apothicaire : « Hélas, mon compère, mon amy, je suis la plus malheureuse femme du monde, car j’ayme mon mary plus que moy mesme & ne faictz que penser à le servir & obéyr ; mais tout mon labeur est perdu pour ce qu’il ayme mieulx la plus meschante, plus orde & salle de la ville que moy. Et je vous prie, mon compère, si vous sçavez poinct quelque drogue qui luy peût changer sa complexion, m’en vouloir bailler, car, si je suys bien traictée de luy, je vous asseure de le vous randre de tout mon povoir. »

L’Apothicaire, pour la consoler, luy dist qu’il sçavoit d’une pouldre que, si elle en donnoyt, avecq ung bouillon ou une rostie, comme pouldre de Duc, à son mary, il luy feroyt la plus grande chère du monde. La pauvre femme, desirant veoir ce miracle, luy demanda que c’estoyt & si elle en pourroit recouvrer. Il luy déclara qu’il n’y avoyt rien comme de la pouldre de cantarides, dont il avoyt bonne provision, &, avant que partir d’ensemble, le contraingnit d’accoustrer ceste pouldre & en print ce qu’il luy en faisoit de mestier, dont depuis elle le mercia plusieurs foys, car son mary,