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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/274

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VIJe JOURNÉE

prier l’Apothicaire de la Royne de Navarre de le venir visiter, lequel luy bailla tous les remèdes propres pour le guérir, ce qu’il feyt en peu de temps, le reprenant très aprement d’ont il estoit si sot de conseiller à aultruy de user des drogues qu’il ne vouloit prendre pour luy, & que sa femme avoyt faict ce qu’elle debvoit, veu le desir qu’elle avoyt de se faire aymer à luy.

Ainsi fallut que le pauvre homme print la patience de sa follye & qu’il recongneust avoir esté justement pugny de faire tumber sur luy la mocquerie qu’il préparoit à aultruy.


« Il me semble, mes Dames, que l’amour de ceste femme n’estoit moins indiscrète que grande.

— Appellez vous aymer son mary », dist Hircan, « de luy faire sentyr du mal pour le plaisir qu’elle espèroyt avoir ?

— Je croy », dict Longarine, « qu’elle n’avoit intention que de recouvrer l’amour de son mary qu’elle pensoyt bien esgarée ; pour ung tel bien il n’y a rien que les femmes ne facent.

— Si est ce », dist Geburon, « que une femme ne doibt donner à boire & à manger à son mary, pour quelque occasion que ce soyt, qu’elle ne sçaiche, tant par expérience que par gens sçavans, qu’il ne luy puisse nuyre ; mais il fault excuser l’ignorance. Ceste là est excusable, car la passion plus aveuglante c’est l’amour, & la personne la plus aveuglée c’est la femme, qui n’a pas la force de conduire saigement ung si grand faiz.