Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
VIJe JOURNÉE

sçauroit empescher l’unyon de vous & de mon dict Seigneur. Et, quant à moy, il m’a nourry dès mon enfance & m’a faict tel que je suys, par quoy il ne sçauroit avoir femme, fille, seur ou mère, desquelles pour mourir je voulsisse avoir autre pensée que doibt à son maistre ung loial & fidèle serviteur. »

La Duchesse ne le laissa pas passer oultre, & voiant qu’elle estoyt en danger d’un refuz deshonorable, luy rompit soubdain son propos en luy disant : « Ô meschant, glorieulx & fou, & qui est ce qui vous en prie ? Cuydez vous par vostre beaulté estre aymé des mouches qui vollent ? Mais, si vous estiez si oultrecuydé de vous addresser à moy, je vous monstreroys que je n’ayme & ne veulx aymer aultre que mon mary, & les propos que je vous ay tenu n’ont esté que pour passer mon temps à sçavoir de voz nouvelles & m’en mocquer, comme je faictz des sotz amoureulx.

— Ma dame », dist le Gentil homme, « je l’ay creu & croys comme vous le dictes. »

Lors, sans l’escouter plus avant, s’en alla hastivement en sa chambre &, voiant qu’elle estoyt suivye de ses Dames, entra en son cabinet, où elle feit ung deuil qui ne se peut racompter, car d’un costé l’amour où elle avoyt failly luy donna une tristesse mortelle ; d’autre costé le despit, tant contre elle d’avoir commencé ung si sot propos