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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/312

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VIJe JOURNÉE

âme où la vostre ira, sçachant que ung amour vertueux & honneste n’a jamais fin en ce monde ne en l’autre. »

Et à l’heure, se levant de dessus le corps, comme ung homme forcené & hors du sens, tira son poignard & par grande violence s’en donna au travers du cueur & de rechef print s’amye entre ses bras, la baisant par telle affection qu’il sembloit plus estre attainct d’amour que de la mort.

La Damoiselle, voiant ce coup, s’en courut à la porte cryer à l’ayde. Le Duc, oiant ce cry, doubtant le mal de ceulx qu’il aymoit, entra le premier dedans la garde-robbe &, voiant ce piteux couple, s’essaya de les séparer pour saulver, s’il eust esté possible, le Gentil homme, mais il tenoit s’amye si fortement qu’il ne fût possible de la luy oster jusques ad ce qu’il fût trespassé. Toutesfoys, entendant le Duc qui parloit à luy disant : « Hélas, qui est cause de cecy ? », avecq ung regard furieux luy respondit : « Ma langue & la vostre, Monsieur », & en ce disant trespassa, son visaige joinct à celluy de s’amye.

Le Duc, desirant en sçavoir plus avant, contraingnit la Damoiselle de luy dire ce qu’elle en avoyt veu & entendu, ce qu’elle feit tout du long, sans en espargner rien. À l’heure le Duc, congnoissant qu’il estoit cause de tout le mal, se gecta sur les deux amans mortz & avecq grandz criz &