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Ve JOURNÉE

craingnoyt fort à luy desplaire ; elle aussi ne chercheoyt qu’à luy obéyr en toutes choses. Mais, avecq la bonne amityé qu’il luy portoit, estoit si charitable que souvent il donnoyt à ses voisines ce qui appartenoyt à sa femme, combien que ce fût le plus secrètement qu’il povoit.

Ilz avoient en leur maison une Chamberière fort en bon poinct, de laquelle ce Tapissier devint amoureux. Toutesfois, craingnant que sa femme ne le sçeut, faisoyt semblant souvent de la tanser & reprendre, disant que c’estoit la plus paresseuse garse que jamais il avoyt veue & qu’il ne s’en esbahissoit pas, veu que sa Maistresse jamais ne la battoyt, &, ung jour qu’ilz parloient de donner les Innocens, le Tapissier dist à sa femme :

« Ce seroyt belle aulmosne de les donner à ceste paresseuse garse que vous avez ; mais il ne fauldroyt pas que ce fust de vostre main, car elle est trop foible & vostre cueur trop piteulx. Si est ce que, si je voulois emploier la myenne, nous serions mieulx serviz d’elle que nous ne sommes ».

La pauvre femme, qui n’y pensoyt en nul mal, le pria d’en vouloir faire l’exécution, confessant qu’elle n’avoit le cueur ne la force pour la battre.

Le mary, qui accepta voluntiers ceste commission, faisant le rigoureux bourreau, feyt achepter des verges des plus fines qu’il peut trouver, &, pour monstrer le grand desir qu’il avoyt de ne