Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
Ve JOURNÉE

prouvoyt ung tel cas, pensa que ce n’estoit pas ung si grand péché qu’elle cuydoit, veu que celle que l’on estimoit tant femme de bien en estoyt l’occasion, & n’en osa plus parler depuis. Mais le Maistre, voïant que sa femme estoit aussi contente d’estre trompée que luy de la tromper, délibéra de la contanter souvent & gaingna si bien ceste Chamberière qu’elle ne pleuroyt plus pour avoir les Innocens.

Il continua ceste vie longuement, sans que sa femme s’en apperçeut, tant que les grandes neiges vindrent, &, tout ainsi que le Tapissier avoyt donné les Innocens sur l’herbe en son jardin, il luy en vouloit autant donner sur la neige, &, ung matin, avant que personne fût esveillé en sa maison, la mena tout en chemise faire le crucifix sur la neige &, en se jouant tous deux à leur bailler de la neige, n’oblièrent le jeu des Innocens, ce que advisa une de leurs voisines qui s’estoit mise à la fenestre, qui regardoit tout droict sur le jardin, pour veoir quel temps il faisoyt, &, voïant ceste vilenye, fut si courroucée qu’elle se délibèra de le dire à sa bonne commère, afin qu’elle ne se laissast plus tromper d’un si mauvais mary, ny servir d’une si meschante garse.

Le Tapissier, après avoir faict ces beaulx tours, regarda à l’entour de luy si personne ne le povoyt veoir & advisa sa voisine à sa fenestre, dont il fut