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POÉSIES INÉDITES

Non pour baiser Madame, ma maistresse,
Dont je suis trop indigne d’aproucher,
Un jour heureux, je pris la hardiesse
A sa bouche de la mienne toucher,
En desirant par là son cœur chercher,
Pour despartir mon amour véhémente,
Que si grande est que le myen seul tourmente,
Mais en deux cours peult loger à son aise.
Je congneuz bien que la bouche est la sente
Par où amour au cœur faict sa descente,
Qui ne se peult faire sans que l’on baise.

Folio 138 recto.

Quelle unyon de parfaicte amictié
Quand de deux cœurs les vouloirs se consentent,
Tant que chascun ne congnoist sa moytié !
Car un seul cœur, non plus deux, ilz se sentent ;
Pour s’esloingner jamais ilz ne s’absentent,
Pour ce que l’œil n’est pas leur fondement.
C’est vraye amour qui les tient fermement
Sy fort lyés, selon Dieu & l’honneur,
Non par plaisir, qui est pris follement,
Mais par vertuz, raison, bon jugement,
Que transformés sont deux en un seul cœur.

Folio 138 recto.

Pour se trouver plus belle & plus beau tainct,
Je veoy chascune un mirouer chercher,
Et leur plaist fort qu’il soit flatteur ou fainct
En leur monstrant qu’elles ont blanche chair.
Mais j’en ay un que j’estime plus cher