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FARCE DES FILLES


Car, s’il m’y veoit parler, tout furieulx,
Devant les gens faict myne si estrange
Que force m’est, fuyant les aymez lieux,
Qu’un bon propoz en ung fascheux je change ;
C’est ung ennuy qui mon cueur ronge & menge,
Mais, quant je veulx ce malheur évitter
Et que du tout à son voulloir me renge,
Pour le garder de tant se despitter,

Sans faire riens qui le puisse irritter,
Il entre lors en plus grand resverye
De jurer Dieu, de Diables invitter[1],
De m’accuser de toute menterye,
Et si seroit follie ou mocquerye
De le penser appaiser par douceur ;
Il n’a repos que de me veoir marrye,
Et mon repoz augmente sa fureur.

Cent mille noms, pour croistre ma doulleur,
Me va nommant, dont le moindre est Meschante.
Hellas, c’est bien sans raison ny couleur,
Car je suis trop de ce vice innocente.
Voilà le chant que nuyct & jour me chante ;
J’endure tout, & si n’y gaigne rien,
Mais la vertu & l’honneur, qui m’enchante,
Me font souffrir dire ne sçay combien.

Si seray je tousjours femme de bien,
Ce qu’il ne croit, dont il me tient grant tort,
Mais je ne puis trouver ung seul moyen

  1. Au sens d’invoquer. — M.