Page:Marguerite de Navarre - Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, t. 4, éd. Frank, 1873.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
LA COCHE

Où tant je fuz encliné de nature,
Me trouvant seule en lieu si fort plaisant,
Que le hault Ciel se rendoit complaisant,
Par sa douceur et par sa temperance,
A la verdeur du pré plein d’esperance,
Environné de ses courtines vertes,
Où mille fleurs à faces descouvertes
Leurs grands beautés descouvroient au Soleil,
Qui, se couchant à l’heure, estoit vermeil,
Et laissoit l’air sans chaud ny froid, si doux,
Que je ne sçay cœur si plein de courroux,
D’ire et d’ennuy, qui n’eust eu guarison
En un tel lieu, fors moy, qui, sans raison,
Fuyant les gens, me retiray à part,
Pour n’avoir plus en leur passetemps part :
Car cœur qui n’ha de plaisir une goutte,
D’en voir ailleurs il ha peine, sans doute.
Par une sente, où l’herbe estoit plus basse,
Me desrobay (comme femme non lasse)
Hastivement, pour n’estre point suyvie,
Car de parler à nul n’avoye envie.
En mon chemin je trouvay un bon homme :
Là m’arrestay, en lui demandant comme
L’année estoit, et qu’il en esperoit,
Qu’il avoit fait, qu’il faisoit, qu’il feroit
De sa maison, femme, enfans et mesnage,
De son repos et de son labourage ?