Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/42

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Pourtant il s’oublia un peu lui-même en approchant de la grève, le bruit de la mer grondante lui emplissant l’oreille et le saisissant d’un trouble, où perçait un soupçon d’attente et de crainte. Brusquement, au coin de la rue, le vent le souffleta, un embrun âpre le couvrit de poussière d’eau ; il aperçut la plage minuscule, tout en galets, que la marée, par vagues courtes et drues, couvrait presque jusqu’à battre le pied des falaises. Un soleil rouge plongeait son disque derrière la mer gonflée et moutonnante : sa lueur rose s’en venait, du bout de l’horizon, mourir sur la crête des dernières vagues ; à chaque battement du flux une digue d’algues se soulevait, tout un fumier brun s’étalait dans l’écume, qui laissait voir en se retirant un grouillement de petits crabes et d’araignées de mer. Sur la gauche, des vagues brisaient sur des roches, en rejaillissements de bave, en clapotis ruisselants, en fusées de neige. Un promontoire, sur la droite, s’avançait en proue de navire, submergé à chaque seconde, émergeant noir quand même, plus haut que la furie des vagues, dans le ciel pâle du crépuscule ; parfois il semblait plonger, vivant flotter comme un épave, rebondir ; et dans le grand vent frais qui