Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/63

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et une montagne de purée de pommes de terre. Il ne put s’empêcher de déclarer :

— Tu es une bonne femme tout de même ; — et il coupa dans le vif, avec un geste affamé, mais le souvenir de Bernard lui fit retenir en l’air la bouchée qu’avait piquée sa fourchette, et tout ému, les larmes aux yeux, il murmura :

— Pauvre Bernard, je savais bien qu’avec sa maladie de cœur, ça pouvait arriver d’un moment à l’autre, je me rappelle aussi tous les tours qu’il m’a joués, nous étions à moitié brouillés ces derniers temps ! n’importe, cela me fait beaucoup de peine !

Deux larmes qui s’étaient gonflées aux coins de ses yeux, comme si elles n’eussent attendu que ce moment, tombèrent alors lentement sur ses joues, et il reposa sa fourchette, recula son assiette, mit les deux coudes sur la table et s’essuya les yeux dans sa serviette.

— Voyons, — supplia Gabrielle tout émue, ne vas-tu pas te rendre malade ? Ce n’est pas Bernard qui t’aurait pleuré s’il était à ta place ?

— Ferdinand, dit Mme Janville avec sentiment, nous savons tous que vous avez du cœur ?

— Nénette, viens embrasser ton père, ordonna Gabrielle.