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PRÉFACE

chaude affection la carrière et les succès, ayant toujours envie de s’écrier : « Celui-là est mon frère bien-aimé… » car ne le sommes-nous pas en effet, pour avoir vécu dans le même décor nos premières années d’adolescence studieuse, pour avoir puisé les premiers préceptes et les premières notions au sein généreux de la même Alma Mater ?

Vous me l’avez, du reste, rappelé d’un mot qui a ébranlé au fond de mon être tout un monde de souvenirs. « Je suis arrivé juste après votre départ, m’avez-vous écrit, dans les classes de notre chère Académie Commerciale de Québec, où votre souvenir flottait encore dans bien des cœurs amis. »

Ah ! les bons professeurs et les excellents camarades ! Je m’en doute bien, franchement, qu’ils n’avaient pas dû oublier si vite l’étrange « homme d’affaires » en élaboration, — on est censé l’être, dans un collège commercial — que j’étais, alors comme aujourd’hui. Je vous ai revécues, heures de lancinante torture passées devant le sphinx implacable et divers des problèmes arithmétiques, des fantaisistes transactions imaginées par l’auteur du « Manuel de tenue des livres », des angles aigus ou obtus, du mesurage des surfaces, et des rébarbatifs hiéroglyphes de la science algébrique ! Cet âge est sans pitié, je veux bien le croire, mais n’est-il pas aussi sans joie ? Il l’eût été pour moi si le programme des études n’eût heureusement apporté une reposante variété au cauchemar mathématique, et si l’enseignement religieux ou la leçon de français ne fussent venus à propos reposer ma pauvre tête du douloureux vertige que lui infligeaient tous ces oiseaux barbares échappés de leur cage pour la persécuter. Mais il y avait autre chose encore, un livre plus grand et plus beau que tous ces amas de papier noirci : je veux parler de l’admirable paysage québécois, dont je suivais par les hautes fenêtres les changements successifs d’aspect. Qu’ils fussent rudes et caressants, selon la saison, ma mélan-