Aller au contenu

Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
PRÉFACE

sieur de Champlain regardant la première pièce de blé, qui tranchait comme un manteau d’or sur le vert sombre de la forêt millénaire. Au loin, en bas du rocher sourcilleux où tonnerait plus tard le canon de Frontenac, Monseigneur de Montmorency-Laval s’embarquait dans un fragile canot, avec deux guides au teint cuivré, pour aller faire sa visite pastorale en quelque lointaine et hardie bourgade jetée sur la rive du fleuve, chemin humide et mouvant par lequel seul on pouvait atteindre les établissements des Trois-Rivières et de Ville-Marie. Comment ne pas évoquer, à Québec,

Tout ce monde de gloire où vivaient nos aïeux


dont a parlé notre poète Crémazie. Pour moi, je remercierai toujours la bonne Providence de ce que ç’ait été dans l’ambiance émouvante et recueillie du vieux Québec qu’il me fut donné de vivre des heures de jeunesse laborieuse, pensive et sagement réglementée, selon la paternelle prévoyance du Fondateur de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, à qui cet autre barde de notre race, Fréchette, a adressé l’hommage admiratif dont le temps n’a fait qu’affermir la vérité :

Tu fis l’Humanité meilleure, et c’est pourquoi
Devant leurs monuments dont le faste émerveille,
J’ai salué du front Bonaparte et Corneille,
Et plié le genou devant ton bronze, à toi !

Vous êtes passé à l’Académie, mon cher Frère, et je ne vous y ai point rencontré. Nos deux routes devaient s’écarter pendant plus de vingt ans, avant de se retrouver et de nous réunir fraternellement.

Mais j’imagine qu’en vous y accueillant à la suite de mon départ, les bons Frères professeurs ont dû sourire avec un peu de malice rétrospective à mon adresse, en voyant le fier rival en belles-lettres et jeux littéraires que j’eusse eu là si vous n’aviez eu la charité — qui vous caractérise si bien — d’attendre mon départ pour entrer en scène.