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LES MADELINOTS

En ces temps d’heure avancée, l’anarchie est complète chez les insulaires. Les uns ont gardé, sans conviction, l’heure ancienne, d’autres ont adopté la nouvelle, une troisième catégorie ont même fait, par fantaisie, un compromis d’une demi-heure entre la chèvre et le chou. Mais au fond, personne n’a cure de celle-ci ni de celle-là. Et n’ont-ils pas raison, tous ? Chacun est son maître et rien ne se présente à heure fixe ; pas de chemins de fer, un vapeur très indépendant du sablier, pas de sifflet d’usine pour striduler deux fois le jour dans un air enfumé : « Allons ! esclave ! viens reprendre ta chaîne ! » Enfin, la cloche de l’église n’appelle que lorsque le sacristain, — qui a généralement autre martel en tête — est prêt à tirer sur la corde. Le soleil, le vent et la marée — trois variables pour parler le langage des mathématiciens — sont les régulateurs, les coordonnées pourrait-on dire, de la vie des Madelinots qui d’ailleurs ne s’embarrassent pas de l’équation, et sont les plus incorrigibles des pas-pressés. Pour les gens de la grand’terre, habitués à une existence compliquée et à l’émiettement méthodique du temps, il y a de quoi se ronger les poings plusieurs fois par jour. Attendre sur le tchais trois ou quatre heures est normal sur les Îles de la Madeleine, et douze ou quinze heures n’est pas inouï… C’est, par excellence, le pays où il ne faut pas s’embarquer sans bis-