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CROQUIS LAURENTIENS

Malgré toute la chaleur de l’hospitalité acadienne, malgré aussi tout le soin que l’on met à vous le faire oublier, il est difficile de ne pas sentir toute la largeur du fossé qui sépare les Canadiens-Français et les Acadiens. Et c’est la seule impression moins agréable que j’aurai emportée des Îles de la Madeleine. Faut-il essayer d’analyser un peu ce sentiment et d’en dégager la formule et les causes ?

Si l’on considère les trois rameaux principaux de la grande famille française : le Français d’Europe, le Canadien-Français et l’Acadien, il semble qu’ils forment une série où les rapports de l’Acadien et du Canadien-Français sont un peu beaucoup les rapports de celui-ci et de son frère de France : attitude du frère cadet, longtemps délaissé par son aîné qui a mieux réussi ; attitude du frère absent qui, pendant que son aîné jouissait des douceurs de la paix au foyer paternel, a mangé le pain noir de la défaite et de l’humiliation ; attitude enfin du blessé de la vie, qui répugne à assumer le rôle de parent pauvre.

On sait à quel prix, nous autres, Canadiens-Français — protégés cependant par des traités et des capitulations généreuses — avons assuré notre pain sans le mendier à la porte du vainqueur, défendu la langue des ancêtres dans la chaumière et dans l’école, préservé notre âme française et catholique, bâti de nos mains notre système