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LE HAVRE-AU-BER

… Cependant, la mer qui démolit ici, reconstruit là. À mesure que les siècles liment les falaises, dissolvent le gypse blanc et broient le grès rouge des échoueries, de longues dunes se forment, s’allongent, galopent vers le large, comblent les havres et ferment les baies. En ce sens qu’elles tendent à devenir un vaste banc de sable, éternel hochet des courants de la mer, les Îles de la Madeleine sont vouées irrémédiablement à la destruction totale. Mais ce sont là préoccupations de géologues — curieuses gens qui oublient toujours que le sort des fossiles les attend demain — et cette échéance est si éloignée que les Madelinots peuvent dormir en paix sous l’édredon de leur bonne conscience et de leur bonheur.

De la véranda du presbytère, où la plus cordiale hospitalité acadienne nous accueille, la vue est vraiment magnifique. Devant nous, sur la verdure des gazons, les petites maisons s’éparpillent, toutes semblables, vêtues de bardeaux sur toutes les faces, et coiffées d’un toit à pic. Au loin flambe l’ocre de la pension Shea, joli chalet posé en plein vent sur la grisaille d’un cap que prolongent, presque au niveau de l’eau, le quai et son petit phare. Et puis la mer, la vaste mer ! Et puis, barrant la nappe bleu turquoise d’un trait hardi, l’immense banc de sable couleur de chair, tendu comme un bras, vers les lointains de l’Atlantique ! Voici le lac stagnant du havre,