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LA GROSSE-ISLE

cieux, triste, fragile, que personne ne soupçonnerait d’être la mère des robustes gaillards qui, hier, appuyés sur le poêle froid, écoutaient mes fastidieux propos de citadin dépaysé. On nous fait charitablement entendre que, si le vent calmit un peu, Édouard à Léon pourra peut-être arriver sur le soir.

Ayant administré à nos bottes, à même le quart, une forte dose d’huile de foie de morue, nous allons flâner sur les dunes, nous asseoir au sommet des buttereaux, nous amuser à faire filer le sable fluide en minces nappes, le long de leurs flancs. Au bout d’une demi-heure, les ressources de la balistique des grains de sable sont épuisées, et pour changer d’amusette, nous nous acharnons à exhumer les tiges sans fin du seigle de mer, cette étrange graminée qui mange le vent et boit la silice, qui s’attache au flanc de la dune, croît plus vite qu’elle ne roule, émet des racines à chacun de ses nœuds pour lutter contre l’enlisement. Une fois cramponné au dos de la dune, le seigle de mer la pique de touffes vertes de plus en plus rapprochées, la maîtrise peu à peu et finit par l’immobiliser à jamais. Alors sur les sommets des buttereaux enfin domptés, il érige en signe de triomphe ses longs épis couleur de sable qui ondulent et hurlent victoire à toutes les touches du vent siffleur !…