Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
SUIS ALLÉ AU BOIS

alentours, disent encore le joyeux labeur des jours derniers.

Dans la grande lumière neuve, les fûts des hêtres ont des pâleurs de vieil argent, et de voir sans obstacle le ciel au-dessus d’eux, fait songer à quelque cathédrale de rêve laissée inachevée, à quelque temple déserté, repris par la grande vie universelle ! Ce n’est partout que frissons d’ailes et bruit menu d’eau qui court entre les roches capitonnées de mousse.

Au travers des feuilles mortes, l’hépatique, partout, passe la tête. Les autres fleurs sauvages, celles de l’été et celles de l’automne, n’ont qu’une parure : l’hépatique prend toutes les teintes du ciel depuis le blanc troublant des midis lumineux jusqu’à l’azur des avant-nuits, en passant par le rose changeant des crépuscules. La nature gâte cette première-née qui va disparaître si vite, avec les vents plus chauds !

J’ai voulu gravir les pentes, parmi les fougères alanguies et les hanaps écarlates des champignons printaniers. Les mousses, gorgées d’eau, mettaient du vert nouveau sur la grisaille des rochers. Autour de moi, les jeunes hêtres gardaient encore, recroquevillées, leurs feuilles de la saison dernière, et la brise, soufflant à travers les files de petits cadavres blancs y entonnait la chanson importune des choses mortes, si triste ainsi plaquée sur la grande symphonie de la vie renaissante.