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CROQUIS LAURENTIENS

décor si riche ne semble là que pour enchâsser le passé. C’est plutôt un village tout fier d’avoir place au soleil, un village de belle mine et sûr de lui-même, qui se fait coquet pour inviter l’avenir.

Hier, revenant en canot du haut du lac, j’ai laissé Émile, dont les biceps sont sûrs, doubler seul la Pointe-au-Vent, pour prendre à pied le portage ombreux, œuvre de mon vieil ami Maiakisis. Le portage, large et tout droit, est bientôt traversé ; il aboutit à une clairière d’où la vue s’étend sans obstacle et magnifique sur toute la Baie. Je veux aller au-devant du canot par le pied des falaises, mais l’eau est haute, et je suis bientôt arrêté par un rocher abrupt qui plonge à pic et ne laisse pas de passage. Que faire ? Rien, sinon attendre et jouir du paysage. Au-dessus de ma tête, les torsades des pins rouges s’échappent des plans de retrait du granit, et les noirs faisceaux de leurs aiguilles me font un parasol rustique du meilleur effet. Les églantiers sauvages — la gloire du Témiscamingue en ce commencement de juillet — accrochent leurs rosaces et leurs boutons partout, sauf sur les étroites corniches là-haut où règne une rigide dentelle de polypode.

À ma droite, d’autres petits caps comme celui qui me retient, emprisonnent des coins obscurs, tandis que sur le vert lumineux des lointaines montagnes traînent de longues écharpes diaphanes, ombres fugaces des nuages errants.