Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grand’mères qui besognaient sur les rouets et aux jeunes femmes penchées sur les berceaux. Puis le soleil disparaissait derrière la masse verte de la colline et l’ombre bleuâtre envahissait rapidement la terre… Toujours encadré dans sa lucarne, Charles chantait sans trève, chantait pour lui ; il chantait parce que son âme était seule en ce monde, parce que son âme était blessée d’une blessure incurable et que cette musique géniale venue du fond du moyen âge coulait en lui comme un baume et lui parlait comme une compagne. Aujourd’hui que la voix de Charles s’est éteinte pour toujours, dites, bonnes gens de Saint-Norbert, ne manque-t-il pas quelque chose à la douceur des soirs d’été, dans le rang de l’église ?…

Jusqu’ici, je n’avais jamais approché le fou de bien près ; j’allais bientôt avoir l’occasion de faire plus ample connaissance. Un jour, en effet, que nous le croyions parti pour toucher sa rente, nous décidâmes, à défaut d’autres amusements, d’aller visiter le coffre bleu. À cet âge les délibérations sont courtes comme l’expérience et la sagesse ! En quatre enjambées nous étions dans le grenier, gambadant, hurlant, nous roulant sur le couvre-pieds à carreaux tendu sur le pauvre lit de bois blanc, cependant que la paillasse remplie de glumes de blé-d’inde criait comme un moulin à scie  !