Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/168

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l’intérieur, un vieux cheval gris ; au dehors un jeune troupeau : deux vaches, trois génisses, quatre moutons, deux porcs.

— Voyez-vous, reprit Lévesque en sortant de la batterie, ça n’a pas été rose pour commencer, et j’ai pensé bien des fois à nos belles terres de Saint-Hilaire, à mon beau verger. Le premier hiver, quand j’ai bâti, j’ai été bien inquiet. La femme et moi, on dormait pas gros. Cet hiver-là et l’hiver d’ensuite, j’ai travaillé pour les autres, pour les Klock, pour Gilies, pour la Riordon. Quand on est pauvre, vous savez, faut pas être exigeant : j’ai travaillé sans faire de prix. On me donnait ce qu’on voulait : une piastre, une piastre et demie… Le premier automne, il me restait $32.00. J’ai acheté une tonne de foin $20.00 ; deux poches de fleur $8.00 ; pour $2.00 d’avoine… Il me restait $2.00 pour passer l’hiver avec dix personnes… Je ne sais pas comment je suis arrivé !…

Il s’appuya sur la gaule de bouleau qui fermait aux taurailles les abords de la maison. Sa main désigna au loin des habitations qu’on ne voyait pas.

— Le Bon Dieu est juste, monsieur le Curé. J’en vois, pas loin d’ici, qui n’ont pas d’enfants ou qui n’en ont que deux ou trois… Eh bien !… ils ont passé aussi ras que nous autres !…