Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/57

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s’arrêtait, trépidant, à la station de Stanfold, je voyais apparaître sur le quai la figure familière de mon oncle Jean.

La vieille jument Souris était là, attelée à la barouche à deux sièges qui danse si gentiment dans les cahots du chemin ! Nous passions aux bagages, et pendant que le train disparaissait dans un tournant, Souris prenait tranquillement la route sablonneuse qui va du côté de Saint-Norbert.

C’était un curieux homme, l’oncle Jean. À peine âgé de quarante ans, il en annonçait bien davantage, car sa calvitie précoce s’aggravait d’un tremblement nerveux, stigmates de misères sans nom endurées dans les affreuses solitudes de la Côte Nord. L’oncle Jean n’aimait pas la vitesse, à cause de sa pipe qui s’éteignait toujours et que sa main peu sûre s’employait sans cesse à rallumer. Souris savait tout cela et ne se pressait pas ; je pouvais donc à mon aise m’emplir les yeux et bonjourer tous les détails de ce paysage familier.

Au bout de trois milles, les lacis de la route s’engageaient dans le grand bois et bientôt apparaissaient les deux côtes de sable où l’on va, à saison dite, manger à grandes poignées les caboches rouges des quatre-temps. Puis s’étalait le pelé désertique, avec la tristesse de ses grands