Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/82

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en cahotant entre les vailloches. Quand on emmène les enfants à la Rivière, c’est pour qu’ils soient de service n’est-ce pas ? Aussi montions-nous sans récriminer dans les échelettes pour fouler le beau grand mil selon tous les principes.

À la Rivière, on fait toujours les journées longues et l’on ramène un voyage à la maison. Je vois encore grand-père mettant le cadenas à la grange, l’oncle Jean perchant le voyage pendant que nous hissions la cruche et le panier vide. On plantait les fourches, les pipes s’allumaient ; grand-père prenait sa place entre les pointes des échelettes, et au cri de : « Tenez-vous ben ! » la jument prenait le raidillon qui conduit à la route.

Ces retours sur la charge branlante m’ont laissé des souvenirs qui m’émeuvent encore. Le paysage était nouveau et le point de vue élevé. Le soleil près de disparaître accentuait la blancheur des granges, allumait des incendies aux vitres des maisons lointaines et donnait des reflets d’acier aux moindres ruisselets. Nous croisions des troupeaux inconnus, des vaches lourdes de lait et d’herbe qu’un petit garçon nu-pieds pourchassait avec une hart. Et le plaisir de frôler les basses branches des arbres ! de retenir entre les doigts une poignée de feuilles et de laisser revenir la branche comme un ressort sur le nez