Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/87

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lier. Au coutumier du rang de l’église tout cela marquait huit heures. Quand je soulevai la trappe pour descendre, la table était desservie et la maison silencieuse. Des rectangles lumineux s’allongeaient sur le plancher, faisant briller la tête des clous. Tante Phonsine se berçait en pelant les patates. Sur la table, une assiettée de crêpes attendait évidemment le retardataire. Elle n’avait pas son air ordinaire, tante Phonsine, et, en réponse à mon bonjour, elle me dit d’un air moitié figue, moitié raisin :


Conrad, tu devrais étendre des collets sur la tasserie.

— Je t’ai laissé dormir à matin ; les vacances achèvent, faut que tu te reposes pour pouvoir étudier dans tes livres…

Elle avait une façon respectueuse de dire ça, cette chère tante Phonsine, "dans tes livres !" qui m’attendrit encore.

— Ça dormait bien, ma tante ! J’ai pas seulement entendu Baptiste brasser ses canistres de lait !

Tante Phonsine, tout en sortant le sirop d’érable de l’armoire et en me versant du thé, me regardait sournoisement. Je devinai bien quelque chose, mais à cet âge on ne vit que du présent si riche, et il n’y a pas de noires prévisions pour prévaloir contre la coalition puissante d’un appétit de dix ans et la séduction combinée des crêpes et du sirop d’érable. Je pris