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les forçats du mariage

l’attitude. Mais j’oublie de te parler de ses yeux. Ils sont d’un bleu sombre, profonds et lumineux. Sais-tu ce que je lis avec terreur dans son regard ? Une âme ardente et douce, des affections concentrées et éternelles. Toutes les fois que je rencontre ce regard qui semble scruter le mien, j’éprouve comme un frisson au cœur. Je sens que cette pauvre fille va m’aimer de toute son âme, tandis que moi…

Au portrait que je viens de tracer, tu as pu croire que je l’aimais. Eh bien ! non, je ne l’aime pas. J’ai beau me fouetter l’imagination, elle ne m’inspire que de la pitié. Je suis attendri auprès d’elle, jamais troublé. Pourquoi ? C’est peut-être qu’à mon insu tout mon être se révolte à cette pensée d’amour forcé et éternel. Ce devoir et cette chaîne perpétuelle me font comprendre par instants tous les crimes du mariage, me font comprendre comment une créature honnête, enserrée dans ces liens inextricables, peut devenir perverse jusqu’à la férocité.

Pour quelques drames sanglants qui se déroulent devant les tribunaux, que de forfaits ignorés, que de turpitudes secrètes, que de mystérieuses douleurs ! Et en dehors de ces crimes effectifs, que de crimes de désirs ! « Ah ! si pour faire mourir son prochain, il ne s’agissait que de cligner de l’œil, disait Jean-Jacques, combien de couples resteraient debout ? »