Page:Marie Louise Gagneur Les Forcats du mariage 1869.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
les forçats du mariage

contre tout le monde ; car je me sens sur le point de perdre mon estime propre, et je ne prévois pas bien au juste de quelle façon je vais patauger à travers les entraves morales et matérielles du mariage. Que ferai-je de mes passions ? La raison, peuh ! Il n’y a que les lymphatiques qui raisonnent. Me jeter dans la politique, rechercher les dignités, les honneurs ? Je ne suis pas ambitieux ; car je ne suis pas plus bilieux que lymphatique. Étant nerveux-sanguin, il me faut les plaisirs qui surexcitent jusqu’à la fièvre : l’amour, le jeu, le mouvement, le bruit, la vraie vie enfin.

Je termine ma lettre, déjà trop longue, par une bonne et honnête résolution. Je veux faire quelque chose pour cette charmante fille qui va me confier son bonheur ; je veux rompre avec la princesse et avec Nana. Enfin, j’irai ce soir annoncer mon mariage à ma belle Juliette. J’en ai froid entre les épaules. Pauvre Juliette ! Elle m’aime tant ! Et moi… Je n’ose sonder mon propre cœur. L’aimer, c’est beaucoup dire. Mais ses regards pleins d’un amour aussi ardent que naïf, sa voix aux vibrations émues, la volupté irritante qui émane de toute sa personne me troublent malgré moi.

Qu’on ne m’accuse pas d’être un libertin. Je n’aurais eu qu’un mot à dire, pas même un mot ; un regard, une pression de main, eussent suffi pour que cette superbe fille me tombât dans les bras. Je l’ai respectée pourtant. Est-ce par vertu ? Non,