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trouble le plus dans ces petits tableaux impressionnistes, ce sont les fonds, les échappées sur l’infini des durées et des espaces qui donnent aux scènes les plus simples des profondeurs de mystère.

Il semble que chez Loti ces allusions perpétuelles aux êtres et aux choses lointains soit moins un procédé qu’une façon essentielle de sentir ; nous les retrouvons du reste caractérisant déjà ses premières impressions d’enfance, et après avoir fait plusieurs fois le tour de sa planète il n’est pas surprenant que Loti n’en puisse apercevoir un coin quelconque sans que ressuscitent en lui les souvenirs de plusieurs autres endroits de la terre.

Des sensations suraiguës, et par suite souvent douloureuses, c’est avant tout ce qu’enferment les livres de Loti. Jules Lemaître définissait ce dernier « un Homère qui aurait les sens d’Edmond de Goncourt » ; mais les héros d’Homère vivent d’une vie objective, tandis que ceux de Loti ne diffèrent guère de celui qui les créa. Leur auteur vit en lui-même, et cette recherche exaspérée de sensations nouvelles qui les caractérise, cet effort perpétuel pour prêter à ces sensations quelque durée explique la mélancolie inhérente à tout l’impressionnisme de Loti. Elle explique aussi ce panthéisme sensuel et voisin du scepticisme aboutissant presque obligé du tourment de l’Infini et de l’« inquiétude de voir tout finir » qui mêle chez Loti son parfum d’amertume aux émotions les plus douces de l’amour.

Par leur côté moral, les livres de Loti sont peut-