Page:Marin - Vies choisies des Pères des déserts d'Orient, 1861.djvu/182

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core, l’on s’apprêtait déjà à faire mes funérailles, lorsque tout à coup et dans un ravissement d’esprit je me sentis traîner devant un tribunal. Là, ébloui de l’éclat dont brillaient tous ceux qui étaient présents, je demeurai prosterné contre terre, sans oser seulement lever les yeux.

« Le juge m’ayant demandé quelle était ma profession, je lui dis que j’étais chrétien. « Tu mens, me dit-il, tu n’es pas chrétien, mais cicéronien : car où est ton trésor, là est aussi ton cœur. » Je me tus aussitôt, et me sentant plus déchiré par les remords de ma conscience que par les coups de verges qu’on me donnait, car il avait ordonné qu’on me fouettât, je pensais à ce verset du Psalmiste : Qui publiera vos louanges dans l’enfer, Seigneur ? (Psal. vi.) Je me mis aussi à crier et à dire en gémissant : Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi. (Psal. lvi.) On m’entendait continuellement faire cette prière, et pousser ces cris parmi les coups de fouet que l’on déchargeait sur moi. Enfin ceux qui étaient présents à cette exécution s’étant jetés aux pieds du juge, le prièrent de pardonner à ma jeunesse et de me donner le temps de faire pénitence de ma faute, dont il pourrait ensuite me punir rigoureusement si jamais je lisais les auteurs profanes.

« Pour moi, qui, dans une telle conjoncture, aurais voulu promettre encore cent fois davantage, je commençai à lui dire avec les plus grands serments du monde, et en le prenant lui-même à témoin : « Seigneur, s’il m’arrive jamais de voir ou de lire les livres profanes, je consens que vous me regardiez comme un homme qui vous a renié. » Après un tel serment on me remit en liberté ; je revins au monde, et, au grand étonnement de tous ceux qui étaient autour de mon lit, j’ouvris les yeux en versant une si grande abondance de larmes, que les plus incrédules