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CHAPITRE PREMIER

Une singulière trouvaille.

— Adrien !

— Me voici, mon oncle.

Immédiatement après cette réponse lancée d’une chambre voisine, un gros jeune homme brun entra dans le cabinet de travail du docteur Agénor Lancette.

— Qu’y a-t-il, mon oncle ?

— Tiens, neveu, regarde, il y a du nouveau aux « Iris ».

Et le docteur tendit au nouvel arrivant un papier qu’un petit garçon du pays venait d’apporter. C’était une feuille arrachée d’un calepin et maculée de plâtre ; elle portait quelques lignes grossièrement écrites au crayon.

« Chair monsieur Lansaite,

« En creusant les fondassions de votre propilité à deux maîtres sous taire j’ai découvert une masse curieuse en métal inconnue ressemblant à du fair. Ça n’est pas rouillé ni usé de même. Il faudrait que vous vienderiez voir cela moi je n’y comprend goutte.

« Votre tout dévoué,

« Lagogué, mètre maçon. »

Disons de suite que la propriété en question, « Les Iris », était une villa que le docteur Agénor Lancette, habitant Orléans, faisait construire à quelques kilomètres de la ville.

Dès qu’Adrien eut achevé l’amusante épître ci-dessus, il releva la tête, fort étonné.

— Je voudrais bien, dit-il, savoir en quoi consiste cette découverte… Un vieux réservoir… un vieux canon, peut-être ?…

— Je ne peux, mon cher neveu, te donner aucune explication, précise à ce sujet. Le papier vient de m’être apporte à l’instant par le petit aux Lagrange. Lagogué, qui dirige les travaux aux « Iris », a vu passer l’enfant ; et, remarquant qu’il se dirigeait vers Orléans, il lui a confié ces quelques lignes crayonnées en le priant de me les remettre ; voilà tout.

— Mon oncle, répondit Adrien d’un air décidé, voici mon avis : je vous conseille d’aller de suite aux « Iris », la chose me paraît en valoir la peine ; et si Lagogué n’y comprend rien, n’y voit goutte, comme il dit, eh bien, vous éclairerez la situation des lumières de votre science.

Agénor Lancette ne répondit pas immédiatement à son neveu ; il méditait, réfléchissait, se parlant tout haut à lui-même : « Ça n’est pas rouillé et ça ressemble à du fer : le cas est bien étrange ! Quel peut être ce métal enterré et inoxydé tout à la fois ?… Car, enfin, Lagogué, quoique maçon, connaît bien tous le métaux, que diable ! il est constructeur, en somme ; s’il appelle cela un métal inconnu, c’est qu’il n’en a pas encore vu de semblable… Bizarre, bien bizarre…

« Le terrain sur lequel je fais construire les « Iris » n’a été retourné qu’à la surface, et il y a de cela bien longtemps ; de plus, je n’ai jamais entendu dire qu’on y ait enfoui profondément quoi que ce soit depuis que je suis ici, c’est-à-dire à peu de chose près depuis ma naissance. Alors, comment expliquer la présence de cette masse métallique dans le sous-sol de ma future villa ?… Mystère profond…

« Au fait, peut-être est-elle là depuis des milliers d’années : les couches de terrains successives, les sédiments amenés par les eaux l’auraient recouverte peu à peu en s’accumulant au-dessus d’elle dans le cours des siècles écoulés La chose est bien possible, après tout… »


Agénor Lancette, docteur en médecine, avait cinquante-cinq ans. C’était un homme long et maigre.

Adrien, pendant ce soliloque, écoutait, réfléchissant, lui aussi.

Soudain, le docteur se leva, et, s’adressant cette fois directement au jeune homme :

— Mon cher, tu as raison, la chose en vaut décidément la peine ; elle excite et surexcite ma curiosité au plus haut point. J’y vais. M’accompagnes-tu ?

— Assurément, mon oncle, avec plaisir.

— Eh bien, prépare-toi, nous partons dans un instant, car je fais atteler immédiatement Bridaine.

Agénor Lancette ouvrit une fenêtre donnant sur la cour, appela son domestique, Célestin, et lui commanda d’atteler de suite son cheval au cabriolet.

Dix minutes après, Bridaine, le docteur et Adrien, le premier emportant les deux autres, filaient à toute allure sur le pavé d’Orléans…

Laissons nos gens rouler vers les « Iris », et profitons-en pour donner au lecteur quelques détails sur le médecin et sa famille.

Agénor Lancette, docteur en médecine et oncle d’Adrien, avait cinquante-cinq ans. C’était un homme long et maigre, cinq pieds dix pouces. Son crâne, complètement dégarni, n’avait plus, comme ornement, qu’une simple couronne de cheveux ; mais une barbe longue et imposante garnissant fortement sa figure contrastait par sa toison fournie avec le poli du crâne ; barbe et cheveux avaient cette teinte vulgairement appelée poivre et sel, un peu plus sel que poivre cependant. Son visage aux traits mobiles s’éclairait de deux petits yeux vifs scintillant comme des braises sous d’épais sourcils ; un grand nez courbe en bec d’aigle s’abaissant vers une bouche aux lèvres bonnes complétait cette physionomie pas belle, assurément, mais toutefois fort sympathique.

L’excellent docteur ayant cinq pieds dix pouces, ainsi que nous l’avons dit, était muni de bras et de jambes bien proportionnés à sa taille, ce qui, lorsqu’il s’agitait, lui donnait vaguement l’aspect d’un de ces anciens télégraphes à signaux que nos pères virent fonctionner jadis.

Tel était Agénor Lancette au physique.

Au moral, notre homme était le plus aimable de tous les savants de la terre.

Quoique possesseur du titre de docteur en médecine, Lancette n’exerçait pas ; d’ailleurs il était riche. Ses amis et les pauvres recueillaient en cas de maladie ses précieux avis sans bourse délier ; mais il renvoyait à ceux de ses confrères d’Orléans ayant besoin de gagner leur vie les visiteurs fortunés qui, par hasard, venaient le consulter sur l’état de leur santé plus ou moins chancelante.

Agénor avait eu et avait encore pour l’étude un amour profond. Sa connaissance approfondie de la médecine ne lui avait pas suffi ; mathématiques, astronomie, aérostation, archéologie, chimie, physique, électricité, conchyliologie, cristallographie, minéralogie, zoologie, histoire, géographie, etc., toutes les sciences humaines avaient été par lui absorbées de bon appétit cérébral. Il était, on peut le dire, une encyclopédie vivante continuellement augmentée et mise à jour par les découvertes quotidiennes.

Le docteur avait, dans son bel appartement d’Orléans, boulevard Rocheplate, un endroit qu’il chérissait tout particulièrement : c’était son cabinet de travail. Il passait là les heures les plus douces de sa vie laborieuse, au milieu de ses livres et de ses collections.

C’était, à vrai dire, une sorte de bibliothèque-musée pratiquement aménagée en salle de travail. Sur de nombreux rayons s’alignaient et s’étageaient des rangées de livres aux reliures diverses, en grande partie scientifiques. Les meilleurs auteurs étaient représentés là, jusque et y compris Agénor Lancette lui-même qui en était bel et bien à son quinzième volume. Trois côtés de la pièce étaient ainsi complètement