Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/115

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mieux vaudrait peut-être avoir affaire à un curé. Les curés, ça a l’habitude d’écouter. Ne vous trompez pas sur moi, monsieur l’Abbé, je n’ai pas besoin de conseils ni d’absolution, ni de communion, ni de tout le sacré tremblement, je n’ai besoin que d’un homme qui m’écoute. Et ne croyez pas que j’aie bu. »

Il s’arrêta, sortit de sa poche une cigarette, me tendit un étui que je refusai machinalement, haussa les épaules comme pour se moquer, se saisit d’une boîte d’allumettes qui traînait sur l’harmonium, se cala commodément dans le recoin de la fenêtre, et continua : « Et puis, quand même, je serais saoul, ça n’aurait aucune importance, car c’est à ces moments-là que je vois clair, monsieur l’Abbé : In vino veritas… Mais je ne sais pas le latin et je ne suis pas venu là pour dire des couillonnades. »

J’ai longuement réfléchi avant de transcrire ce dernier mot, comme aussi toutes les grossièretés qui émaillèrent, si j’ose dire, le discours du personnage, mais je ne voyais pas comment traduire et, faut-il le confesser, j’ai été parfois séduit — ou ému, moi qui suis du peuple — par tous ces mots honnêtes et savoureux. Honnêtes ? Mais oui, je veux dire pleins de sens, bien rudes et clairs et insoucieux du moindre effet. Et l’homme lui-même était insoucieux du moindre effet. Je n’ai jamais rencontré d’homme si vrai. À force de vérité, il