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Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/157

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J’ai reçu votre lettre. Celle que je vous écris ce soir est d’un vieil homme, et il n’y a guère de chance que vous la compreniez : les vieux hommes parlent pour eux et non pas seulement d’expérience ; ils disent encore, ou tâchent de dire — et eux-mêmes s’y perdent parfois — ce monde nouveau qui s’ouvre à eux. Ce qu’ils ont aimé se décolore, ils ne conçoivent plus la possession et s’étonnent d’y avoir cédé. La terre elle-même leur paraît manquer de densité. Les grands cris leur sont indécents. Ils y soupçonnent la comédie, le besoin de se faire valoir, comme une démangeaison de l’être. Les vrais cris et les vrais silences, même si leur vie a été longue et remplie d’événements multiples et de rencontres ineffables, ils peuvent les compter sur leurs doigts. Tant d’hommes, si peu d’humanité ! tant de cris et si peu de passion ! tant de silences — ou tant de prétendus silences — et si peu de contemplation !

M’entendez-vous ? Ce que je dis doit vous venir d’un autre monde, d’un monde ouaté et solennel un peu ; et peut-être même pensez-vous que cette sagesse lointaine et sentencieuse déguise une force à son déclin : vous tenez au plus juste accord, à la plénitude des mots ;