Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/163

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Sauras-tu vaincre mieux ceux qui l’ont renversée ?
Abattu sous le faix de l’âge et du malheur,
Quel fruit espères-tu d’une infirme valeur ?
Tristes réflexions, qu’il n’est plus temps de faire !
Quand je me suis perdu, la sagesse m’éclaire :
Sa lumière importune, en ce fatal moment,
N’est plus une ressource, et n’est qu’un châtiment.
En vain s’ouvre à mes yeux un affreux précipice ;
Si je ne suis un traître, il faut que j’y périsse.
Oui, deux partis encore à mon choix sont offerts :
Je puis vivre en infâme, ou mourir dans les fers.
Choisis, mon cœur. Mais quoi ! tu crains la servitude ?
Tu n’es déjà qu’un lâche à ton incertitude !
Mais ne puis-je, après tout, balancer sur le choix ?
Impitoyable honneur, examinons tes droits.
Annibal a ma foi ; faut-il que je la tienne,
Assuré de ma perte, et certain de la sienne ?
Quel projet insensé ! La raison et les dieux
Me font-ils un devoir d’un transport furieux ?
Ô ciel ! j’aurais peut-être, au gré d’une chimère
Sacrifié mon peuple et conclu sa misère.
Non, ridicule honneur, tu m’as en vain pressé :
Non, ce peuple t’échappe, et ton charme a cessé.
Le parti que je prends, dût-il même être infâme,