Doucement, mon père ; discutons froidement les choses. Vous aimez la raison, j’en ai de la plus rare.
Je vous montrerai que je suis votre père.
Je n’en ai jamais douté ; je vous dispense de la preuve, tranquillisez-vous. Vous me direz peut-être que je n’ai que vingt ans, et que vous en avez soixante. Soit, vous êtes plus vieux que moi ; je ne chicane point là-dessus ; j’aurai votre âge un jour ; car nous vieillissons tous dans notre famille. Écoutez-moi, je me sers d’une supposition. Je suis Monsieur Argante ; et vous êtes ma fille. Vous êtes jeune, étourdie, vive, charmante, comme moi. Et moi, je suis grave, sérieux, triste et sombre comme vous.
Où suis-je ? et qu’est-ce que c’est que cela ?
Je vous ai donné des maîtres de clavecin, vous avez un gosier de rossignol, vous dansez comme à l’Opéra, vous avez du goût, de la délicatesse ; moi du souci et de l’avarice ; vous lisez des romans, des historiettes et des contes de fées ; moi des édits, des registres et des mémoires. Qu’arrive-t-il ? Un vilain faune, un ours mal léché sort de sa tanière, se présente à moi, et vous demande en mariage. Vous croyez que je vais lui crier : va-t’en. Point du tout. Je caresse la créature maussade. Je lui fais des compliments, et je lui accorde ma fille. L’accord fait, je viens vous