Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 3.djvu/322

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rembarquais, j’ai du malheur, je ferais encore naufrage, à moins que de trouver un autre Lélio.

LA PRINCESSE

Vous ne tiendrez pas votre colère, et je chercherai de quoi vous réconcilier avec les hommes.

HORTENSE

Cela est inutile ; je ne sache qu’un homme dans le monde qui pût me convertir là-dessus, homme que je ne connais point, que je n’ai jamais vu que deux jours. Je revenais de mon château pour retourner dans la province dont mon mari était gouverneur, quand ma chaise fut attaquée par des voleurs qui avaient déjà fait plier le peu de gens que j’avais avec moi. L’homme dont je vous parle, accompagné de trois autres, vint à mes cris, et fondit sur mes voleurs, qu’il contraignit à prendre la fuite. J’étais presque évanouie ; il vint à moi, s’empressa à me faire revenir, et me parut le plus aimable et le plus galant homme que j’aie encore vu. Si je n’avais pas été mariée, je ne sais ce que mon cœur serait devenu, je ne sais pas trop même ce qu’il devint alors ; mais il ne s’agissait plus de cela, je priai mon libérateur de se retirer. Il insista à me suivre près de deux jours ; à la fin je lui marquai que cela m’embarrassait ; j’ajoutai que j’allais joindre mon mari, et je tirai un diamant de mon doigt que je le pressai de prendre ; mais sans le regarder il s’éloigna très vite, et avec quelque sorte de douleur. Mon mari mourut deux mois après, et je ne sais par quelle fatalité l’homme que