Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/12

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de cette bonne et sensible religieuse qui, par le récit de ses propres malheurs, empêche Marianne de rendre irréparables ses propres infortunes. Ce que Marivaux, par quelque cause que ce fût, avait négligé de faire, une plume habile et exercée n’a pas craint de l’exécuter ; et on s’accorde généralement à attribuer à madame Riccoboni la douzième partie de Marianne. Il est difficile de mieux prendre la manière d’un auteur, de mieux deviner ses secrets, de le reproduire en un mot avec plus de fidélité, et de porter plus loin le prestige de l’imitation. Le dénouement satisfait à toutes les données du roman, place tous les personnages dans la situation définitive qui leur convient : Marianne est un tableau de Raphaël, resté malheureusement imparfait, mais terminé avec gloire par Jules Romain.

L’action de Marianne est simple et peu susceptible d’analyse ; la morale en est excellente. L’intention de Marivaux a été de montrer l’innocence et la vertu constamment aux prises avec le malheur, et sortant victorieuses des combats les plus violens comme des séductions les plus dangereuses. Au milieu de ce spectacle, le plus beau, suivant un philosophe ancien, que la terre puisse étaler aux regards de la Divinité, apparaissent les vices qui donnent naissance à ces combats, et à aucun desquels l’écrivain moraliste ne fait grâce. Pour les démasquer et pour les vaincre, il emploie tour à tour ou l’instrument déchirant du ridicule, ou l’arme foudroyante de l’éloquence. Mais il n’égare point ses coups, il sait juste où ils doivent porter ; il reconnaît ses amis dans la mêlée ; son sang-froid est égal à son courage, son discernement à son ardeur ; il cherche, non des complices dans les cœurs dépravés, mais des auxiliaires dans tout ce qui porte un esprit droit et une âme pure et indépendante.