Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/146

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trouve-t-il pas lui-même horrible ? Etre aussi vieux qu’il est, avoir l’air dévot, passer pour un si bon chrétien, et ensuite venir dire en secret à une jeune fille : Ne prenez pas garde à cela ; je ne suis qu’un fourbe, je trompe tout le monde, et je vous aime en débauché honteux qui voudrait bien aussi vous rendre libertine ! Ne voilà-t-il pas un amant bien ragoûtant !

C’était là à peu près les petites idées dont je m’occupais pendant qu’il gardait le silence en attendant que la Dutour fût partie.

Enfin, nous restâmes seuls dans la maison. Que cette femme est babillarde ! me dit-il en levant les épaules ; j’ai cru que nous ne pourrions nous en défaire. Oui, lui répondis-je, elle aime assez à parler ; d’ailleurs, elle ne s’imagine pas que vous ayez rien de si secret à me dire.

Que pensez-vous de notre rencontre chez mon neveu ? reprit-il en souriant. Rien, dis-je, sinon que c’est un coup de hasard. Vous avez très sagement fait de ne me pas connaître, me dit-il. C’est qu’il m’a paru que vous le souhaitiez ainsi, répondis-je ; et à propos de cela, monsieur, d’où vient est-ce que vous êtes bien aise que je ne vous aie point nommé, et que vous avez fait semblant de ne m’avoir jamais vue ?

C’est, me répondit-il d’un air insinuant et doux, qu’il vaut mieux, et pour vous et pour moi, qu’on ignore les liaisons que nous avons ensemble, qui dureront plus d’un jour, et sur lesquelles il n’est pas nécessaire qu’on glose, ma chère fille ; vous êtes si