Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/155

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dont je suis, que votre réputation ne court aucun hasard : je ne serai pas curieux qu’on sache que je vous aime, ni que vous y répondez. C’est dans le secret que je prétends réparer vos malheurs, et vous assurer sourdement une petite fortune qui vous mette pour jamais en état de vous passer du secours des gens qui ne me ressembleraient pas, qui seraient plus ou moins riches, mais tous avares, tous amoureux sans tendresses, qui ne vous donneraient qu’une aisance médiocre et passagère, et dont vous seriez pourtant obligée de souffrir l’amour, même en restant chez Mme Dutour.

À ce discours, je me sentis saisie d’une douleur si vive, je me fis tant de pitié à moi-même de me voir exposée à l’insolence d’un pareil détail, que je m’écriai en fondant en larmes : Eh ! mon Dieu, à quoi en suis-je réduite !

Et comme il crut que mon exclamation venait de l’épouvante qu’il me donnait : Doucement, me dit-il d’un air consolant et en me serrant la main ; doucement, mon aimable et chère fille, rassurez-vous : puisque nous nous sommes rencontrés, vous voilà hors du péril dont je parle ; il est vrai que vous ne l’éviteriez pas sans moi ; car il ne faut pas vous flatter, vous n’êtes point née pour être une lingère ; ce n’est point une ressource pour vous que ce métier-là ; vous n’y feriez aucun progrès, vous le sentez bien, j’en suis sûr ; et quand vous vous y rendriez habile, il faut de l’argent pour devenir maîtresse, et vous n’en avez pas ; vous seriez donc toujours fille de boutique.