Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/157

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cela ne vous aurait pas suffi. Vous aviez besoin que je fusse quelque chose de plus. Il fallait que je vous aimasse, que je sentisse de l’amour pour vous, je dis un amour d’inclination ; il fallait que je ne pusse le vaincre, et que, forcé d’y céder, je me fisse du moins un devoir de racheter ma faiblesse, et de l’expier en vous sauvant de tous les inconvénients de votre état ; c’est aussi ce que j’ai résolu, ma fille, et j’espère que vous ne vous y opposerez pas ; je compte même que vous ne serez pas ingrate. Il y a beaucoup de différence de votre âge au mien, je l’avoue ; mais prenez garde : dans le fond, je ne suis vieux que par comparaison, et parce que vous êtes bien jeune ; car, avec toute autre qu’avec vous, je serais d’un âge fort supportable, ajouta-t-il du ton d’un homme qui se sent encore assez bonne mine. Ainsi, voyons, convenons de nos mesures avant que la Dutour arrive. Je crois que vous ne songez plus à être lingère. D’un autre côté, voici Valville qui est une tête folle, à qui vous avez dit où vous demeuriez, et qui infailliblement cherchera à vous revoir ; il s’agit donc d’échapper à sa poursuite, et de lui dérober nos liaisons, qu’il n’ignorerait pas longtemps si vous restiez chez cette femme-ci ; de sorte que l’unique parti qu’il y a à prendre, c’est de disparaître dès demain de ce quartier, de vous loger ailleurs ; ce qui ne sera pas difficile. Je connais un honnête homme que je charge quelquefois du soin de mes affaires, qui est ce qu’on appelle un solliciteur de procès, dont la femme est très raisonnable, et qui